Dr Tahar El Almi, Economiste-Universitaire, Professeur Associé à l’IHET
Si la répartition est une fonction essentielle de la politique économique, selon la typologie de Richard Musgrave (1989), la politique économique comporte deux autres dimensions qui sont :
– L’allocation optimale des ressources (investissement, éducation, environnement) et,
– La stabilisation macroéconomique (politiques budgétaire et monétaire).
Cette typologie s’applique sans réserve à la politique fiscale, qui comporte fondamentalement,
• Une fonction de correction de la répartition initiale des revenus
• Une fonction de collecte des ressources pour financer les charges publiques et
• D’incitation à l’efficience économique.
Ces trois fonctions, souvent antagonistes, sont intimement liées, et toute action sur l’une a nécessairement des effets sur les deux autres.
Au cours de la dernière décennie, en Tunisie, la fonction de collecte des ressources pour l’assainissement des comptes publics a largement pris le pas sur les deux autres fonctions (répartition, efficience).
La stratégie de consolidation budgétaire amorcée en 2012-2021 a ainsi reposé de façon prioritaire sur une hausse nette des prélèvements obligatoires, qui a fourni l’essentiel de l’effort structurel réalisé au cours de la décennie passée.
Entre 2012 et 2021, elles ont modifié plus profondément qu’on ne le pense le paysage fiscalo-social des années 2000-2010. La Tunisie qui se trouve toujours dans une situation de forte contrainte budgétaire, notamment après le choc du 14 janvier 2011, se doit de réaliser au moins 3.2 points de PIB de croissance pour atteindre l’équilibre structurel en 2025. Dès lors, la redéfinition de la hiérarchie des objectifs de la politique fiscale se retrouve au premier plan (qui ferait l’objet d’une série d’études en cours, objet d’un prochain colloque au cours de l’hiver 2022). Dans une économie en stagflation (stagnation, inflation et chômage élevés), les objectifs d’efficience économique et de répartition ont vocation à refaire partie des priorités dans les années à venir, la question étant désormais de savoir lequel est le plus urgent. En dépit des marges de progrès indéniables, il est difficile de soutenir que la répartition ne fonctionne pas en Tunisie, surtout lorsque l’on prend en compte l’ensemble des politiques publiques mises en œuvre (compensation des produits de première nécessité, prélèvements, protection sociale), auxquelles il faut ajouter le Smig, le Smag dont le niveau relatif élevé par rapport au reste de la grille salariale joue un rôle d’amortisseur social en période de crise.
Par contre, l’incitation à l’efficience économique apparaît clairement comme la perdante des évolutions récentes.
En particulier, l’importante révision à la hausse de plusieurs recettes fiscales (TVA, IS, IR) par rapport à la prévision semble indiquer un affaiblissement des assiettes taxables qui menace sérieusement le retour à l’équilibre des comptes publics, via les effets contreproductifs sur l’activité et la croissance.
Elle devrait faire l’objet d’études approfondies pour en comprendre les causes profondes et mieux articuler la relation, économiquement évidente mais complexe à évaluer, entre les décisions de taxation des pouvoirs publics et les comportements des acteurs économiques.
Bien sûr, complexe par nature, l’étude de la répartition fait face à d’importantes difficultés méthodologiques (compensation, transferts en nature) qui rendent impossible à ce stade toute analyse exhaustive.
Toutefois, d’après les travaux disponibles, le système de répartition tunisien remplit assurément son rôle, de puissants mécanismes de transferts (notamment via la protection sociale) réduisant les écarts de niveau de vie dans des proportions non négligeables. Au sein de ces transferts, la progressivité, en particulier de l’impôt sur le revenu, joue un rôle majeur mais pas exclusif. D’une façon plus générale, il conviendrait de replacer ce sujet dans le débat plus large sur les trois fonctions de la politique fiscale : alors que la croissance potentielle est durablement installée en-deçà des 2.5 %, la fonction d’incitation à l’efficience économique devrait être prioritaire dans les années de redressement à venir pour contribuer à la réduction du chômage (qui reste le meilleur moyen d’améliorer le bien-être collectif) et à réduire les déficits à travers une politique de nature contra-cyclique (baisse globale des prélèvements).